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Le notariat, ou lorsque le féminin l'emporte

  • Photo du rédacteur: Claudie Léveillé
    Claudie Léveillé
  • 12 déc. 2022
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 3 févr. 2023

Décembre 2022 : Thème de la femme et du notariat

Par Claudie Léveillé

Blog du CDN | Comité de droit notarial de l'Université de Montréal


Il est impossible aujourd’hui de dissocier femmes et notariat, alors que la profession notariale comptait 66% de femmes notaires en 2019 parmi ses membres en exercice[1]. Cette féminisation de la profession se poursuit, avec une représentation féminine à la maîtrise en droit notarial excédant parfois les 80%[2]. Toutefois, il en fut autrefois tout autre : la profession notariale fut réservée à la gent masculine pendant des siècles avant qu’une femme, pour la toute première fois, accède au titre de notaire.


Les premières

Cette femme se dénommait Louise Dumoulin. Elle fut assermentée le 11 juin 1958[3] à Québec, près de 15 années après l’assermentation des premières avocates admises au Barreau[4] et 10 ans après l’ouverture en France du notariat aux femmes[5]. Fille d’un avocat plus tard devenu juge, Louise Dumoulin ne pratiqua que quelques mois à Gatineau avant de se tourner vers le secteur de l’aviation civile[6]. Malgré son grandiose accomplissement, celui d’avoir tracer le chemin pour les milliers de femmes notaires assermentées après elle, le nom de Louise Dumoulin ne sera pas celui qui retentira le plus en termes d’accès des femmes à la profession notariale : ce sera plutôt celui de Bérangère Gaudet.


Bérangère Gaudet fut en 1960 la seconde femme assermentée à la profession notariale au Québec. Elle fut cependant celle qui marqua davantage les récits féministes par sa longue pratique notariale majoritairement non conventionnelle : pour une minorité au sein d’un océan masculin, elle n’avait certainement pas froid aux yeux. Fille d’un avocat, puis notaire à 22 ans, Bérangère Gaudet délaissa d’abord la pratique traditionnelle en étude notariale pour occuper un poste à la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada. La suite de son parcours fut tout aussi remarquable, passant par un poste de secrétaire pour la Commission d’étude sur le notariat pour la Chambre des notaires la menant éventuellement à œuvrer pour le Conseil du patronat du Québec et pour l’Université Concordia[7].


Une féminisation de la profession

L’assermentation de Bérangère Gaudet en 1960 fut suivie de celle des notaires Paule Mackay et Rita Legault en 1963[8], ouvrant par ce fait la porte à toutes ces femmes notaires qui leur ont succédées. Ce ne fut que le début d’une forte féminisation de la profession, les femmes atteignant la parité avec leur confrères masculins en 2007, précédant les avocates de huit années[9]. Pourtant, rappelons que les premières avocates ont été admises au Barreau près de quinze années avant l’assermentation des premières femmes notaires. En 2019, 66% des notaires exerçant au Québec étaient des femmes, alors que les avocates représentaient moins de 55% du Barreau en 2020[10]. Parmi les notaires exerçant depuis moins de 20 ans, la proportion de femmes escalade à 76%, présageant une relève majoritairement féminine[11]. La France assiste d’ailleurs à ce même phénomène de féminisation de sa profession notariale : près de 55% des notaires français étant des femmes en 2021[12].


Qu’est-ce qui pourrait donc expliquer cette forte présence féminine en notariat? Les causes étant impossibles à affirmer avec certitude, des pistes d’explications ne cessent toutefois d’être avancées : alors que certaines avancent une plus grande sensibilité chez la femme, d’autres affirment que l’empathie n’a pas de sexe[13]. Il serait également probable que les discours évolutifs associés aux rôles sociaux rattachés au genre, aux stéréotypes sur la profession et au statut social ait influencé une montée de l’intérêt féminin pour la profession notariale. En France, on semble noter une corrélation entre la montée des notaires françaises et l’obligation de diplomation pour accéder au métier, accès qui auparavant ne requérait qu’un stage[14]. Les hautes études pourraient-elles donc être la réelle barrière de l’accès masculine à la profession? Au Québec, cette obligation de diplomation, remisant l’accès à la profession par cléricature, prit naissance en 1937[15], soit 11 années avant l’assermentation de la première femme notaire, Louise Dumoulin. Cependant, à cette date, seules les études universitaires de premier cycle étaient visées, ce n’est qu’en 2004[16] que l’obtention d’un diplôme de droit notarial (plus connu à titre de diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS)) fut exigée, puis en 2015 que la maîtrise en droit notarial devint la formation obligatoire à l’accès à la profession[17].


Un débalancement des sexes

N'oublions cependant pas que plus la profession se féminise, plus l’écart entre les hommes et les femmes notaires se creuse. D’ailleurs, cette diminution progressive du nombre de hommes sur les bancs d’école n’est pas propre au notariat[18], ce qui a même mené le Conseil supérieur de l’éducation à entreprendre des travaux pour comprendre ce phénomène[19]. La seule explication soulevée relèverait du système éducationnel dans son ensemble : il ne semblerait pas adapté aux garçons. Deux chercheurs de Statistiques Canada étaient plutôt d’avis que les avantages économiques découlant de la diplomation universitaire encourageaient davantage les femmes à fréquenter l'université, celles-ci ayant plus à gagner que les hommes à décrocher un tel diplôme plutôt qu'à s'en tenir au diplôme du secondaire[20].


Toujours est-il que notre société semble se trouver confrontée à une autre inégalité des sexes qui mènera à une prédominance des femmes et à une importante disparition des hommes dans les diverses professions[21], dont le notariat. Si l’objectif initial était l’atteinte de la parité des femmes notaires relativement à leurs confrères masculins, celui-ci devrait maintenant être inversé : il semblerait temps mettre en place des stratégies favorisant un plus grand intérêt masculin envers la profession notariale. Un trop grand déséquilibre, peu importe le genre majoritaire, ne peut qu’être problématique dans le débalancement sociétal qu’il créerait.

Notes de référence

[1] Chambre des notaires du Québec, Portrait de la profession. Rapport, 2020, Québec, Chambre des notaires du Québec, en ligne : <https://www.cnq.org/wp-content/uploads/2020/12/500649-2020_Portrait-de-la-profession.pdf>.

[2] Julie Paquin, « La féminisation de la profession », (2019) 28-3 Entracte 8, en ligne : <https://magazineentracte.cnq.org/cnq-entracte/magazine-entracte-automne-2019/preview/#8/>.

[3] Louise Mailhot, Les premières ! L’histoire de l’accès des femmes à la pratique du droit et à la magistrature, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 52.

[4] Id., p. 45.

[5] Corinne Delmas, « Les notaires, le genre d’une profession à patrimoine », (2019) 41 Travail, genre et sociétés 127, 128, en ligne : <https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2019-1-page-127.htm> : La profession fut rendue accessible aux Françaises le 20 mars 1948.

[6] Louise Mailhot, préc., note 3.

[7] Louise Mailhot, préc., note 3, p. 52-53.

[8] Diane Gareau, « Le notariat : une profession ancienne toujours actuelle », (2017), 26-2 Entracte 20, 21, en ligne : <https://www.cnq.org/wp-content/uploads/2020/10/614773-entracte_ete_2017.pdf>.

[9] Julie Paquin, préc., note 2.

[10] Barreau du Québec, Barreau-mètre. Faits saillants. La profession en chiffres, Rapport, Québec, Barreau du Québec, 2022, p. 17, en ligne : <https://www.barreau.qc.ca/media/3091/barreau-metre-2022-faits-saillants.pdf>.

[11] Chambre des notaires du Québec, préc. note 1.

[12] Conseil supérieur du notariat, Rapport annuel du Conseil supérieurdu notariat 2021, Rapport annuel, Paris, Conseil supérieur du notariat, 2021, p. 6, en ligne : <https://fr.calameo.com/read/005125198cbe207d7d03b>.

[13] Alexis Duvauchelle, « Le notariat, une profession qui poursuit sa féminisation », (2022) 58 Le Journal Spécial des Sociétés 9, en ligne : <https://www.jss.fr/JSS_AS_WEB/DOC/JSS/2022/JSS_11.pdf>.

[14] Corinne Delmas, préc., note 5, 132.

[15] André Vachon, Histoire du notariat canadien. 1621-1960, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1692, p. 195, en ligne : <https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3444921>.

[16] Règlement modifiant le Règlement sur les diplômes délivrés par les établissements d’enseignement désignés qui donnent droit aux permis et aux certificats de spécialistes des ordres professionnels, D. 211‑2004, 1560, art. 1, en ligne : <http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=1&file=42121.pdf>.

[17] Règlement modifiant le Règlement sur les diplômes délivrés par les établissements d’enseignement désignés qui donnent droit aux permis et aux certificats de spécialistes des ordres professionnels, D. 2100‑2015,4823, art. 1, en ligne : <http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=1&file=64218.pdf>.

[18] Institut de statistique du Québec, « Niveau de scolarité et domaine d’études selon le sexe et le groupe d’âge », Bulletin sociodémographique volume 24 numéro 7, Québec, Institut de la statistique du Québec, 2020, en ligne : <https://statistique.quebec.ca/fr/fichier/niveau-de-scolarite-et-domaine-detudes-selon-le-sexe-et-le-groupe-dage.pdf>; Daphnée Dion-Viens, « Moins de garçons à l’université », Le journal de Québec, 6 décembre 2019, en ligne : <https://www.journaldequebec.com/2019/12/06/moins-de-garcons-a-luniversite> ; Marie-Andrée Chouinard, « Cégeps et universités – Où sont passés les garçons? », Le Devoir, 29 avril 2006, en ligne : <https://www.ledevoir.com/societe/education/107978/cegeps-et-universites-ou-sont-passes-les-garcons>.

[19] Daphnée Dion-Viens, id.

[20] Statistiques Canada, Pourquoi les femmes sont-elles devenues majoritaires à l'université?, Publications, Ottawa, Statistiques Canada, 2008, en ligne : <https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/81-004-x/2008001/article/10561-fra.htm#c>.

[21] Pierre Potvin, « Le problème de réussite scolaire des garçons », Blogue Pierre Potvin Ph.D. ps.éd. ps.péd. auteur, le 15 janvier 2017, en ligne : <https://pierrepotvin.com/wp/index.php/2017/01/15/le-probleme-de-reussite-scolaire-des-garcons/>.







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