Être notaire et maman, c’est possible?
- Claudie Léveillé
- 3 févr. 2023
- 6 min de lecture
Février 2023 : Thème de la famille et du notariat

Par Claudie Léveillé
Blog du CDN | Comité de droit notarial de l'Université de Montréal
Et surtout, y a-t-il un avantage à être salarié plutôt qu’à son propre compte? Il s’agit là de questions que de futures étudiantes en droit, aspirantes à la profession notariale et souhaitant éventuellement fonder une famille pourraient bien être amenées à se poser.
Cet article propose une entrevue comparative entre deux notaires mamans qui ont généreusement accepté notre invitation.
Me Julie Léveillé est une notaire pratiquant le droit immobilier et agricole en plus du droit corporatif et commercial. Passionnée par son travail et nouvellement maman, elle est salariée chez Dagenais et associés, une étude notariale établie à Terrebonne, et a eu son premier enfant en 2023.
Me Émilie Gélinas est une notaire ayant une entreprise non incorporée et pratiquant surtout en droit immobilier dans la région de Lanaudière. Elle a eu la chance de donner naissance à trois enfants : le premier en janvier 2016, le deuxième en août 2018 et le troisième en mai 2020. Ses congés de maternité et ses congés parentaux ont donc été pris alors qu’elle était à son propre compte.
Voici leurs réponses aux questions du Blog du CDN :
Comment l’annonce de votre grossesse a-t-elle été perçue par votre employeur et par vos collègues?
Me Julie Léveillé (salariée) : La nouvelle a bien été perçue par mes employeuses, qui sont deux femmes. Je leur avais déjà annoncé mon projet de tomber enceinte durant l’année, de sorte qu’elles s’attendaient à cette nouvelle. Il faut dire que j’ai une très bonne relation avec mes employeuses, basée sur le respect et la confiance. Je crois que mes collègues étaient heureuses pour moi, mais davantage stressées par mon départ et par la répartition de la charge du travail qui allait s’en suivre.
Comment la gestion et réattribution de vos dossiers a-t-elle été gérée en prévision de votre congé de maternité?
Me Julie Léveillé (salariée) : Nous avons fait appel à un notaire solo désireux de prendre sa retraite et de vendre son greffe. Nous l’avons convaincu de se joindre à nous afin de me remplacer durant mon congé de maternité, en échange d’un départ à la retraite à mon retour. Une situation gagnant-gagnant! Bien entendu, mes autres collègues ont également veillé sur quelques-uns de mes dossiers.
Me Émilie Gélinas (à son compte) : J'ai une technicienne qui montait mes dossiers pendant mon absence et qui gérait le bureau en général. J'avais aussi une notaire employée de 2016 à 2020 qui pouvait recevoir les dossiers qu'on ne pouvait pas reporter et/ou refuser (mais je faisais attention de ne pas en prendre trop pour ne pas avoir trop de revenus).
Combien de semaines/mois avez-vous pris en congé de maternité? Quand avez-vous débuté votre congé de maternité (avant/après l’accouchement)?
Me Julie Léveillé (salariée) : J’ai pris deux semaines de congé avant ma date prévue d’accouchement. Mon congé de maternité a alors commencé à ce moment. J’ai pris au total une année de congé de maternité. Cependant, il faut dire que je me suis ennuyée de la profession (oui, oui : vraiment!).
Me Émilie Gélinas (à son compte) : J'ai toujours pris toutes les semaines du congé de maternité, puisque je n'avais pas le choix. Je pouvais quand même travailler de la maison (mon logiciel est sur Cloud), effectuer des recherches de titres et d'autres tâches diverses. D’ailleurs, je crois qu'il faut seulement réduire de 40% nos activités d'entreprise pour avoir droit au congé[1]. Je débutais mes congés avant d'accoucher et je les étirais le plus tard possible pour réussir à les répartir de la meilleure manière qu’il soit. Cela aurait été beaucoup plus simple si j'avais été incorporée (j'aurais juste cessé de m'avancer un salaire).
Avez-vous travaillé ou dû porter assistance au bureau pendant ce congé?
Me Julie Léveillé (salariée) : J’ai bien entendu répondu aux appels à l’aide de mes collègues. Ceux-ci se sont montrés compréhensifs et indulgents, puisqu’il ne m’était pas toujours possible de prendre leur appel sur le champ ou de leur fournir une réponse rapidement. À quelques reprises, j’ai offert mon aide quand je savais que mon équipe était très occupée : il me faisait grand plaisir de sortir de la maison, et de retrouver un contexte dans lequel on se sait à l’aise et performant. Mes employeuses ont salué mon dévouement. Je n’ai jamais senti aucune pression, et les fois où j’ai pu porter assistance, c’était par choix, et non par obligation.
Me Émilie Gélinas (à son compte) : Oui. J'ai réduit mes activités seulement pour ce qui était obligatoire pour le congé et j'ai rarement arrêté de travailler des semaines complètes. J'allais souvent au bureau pour juste signer des documents (quittances, rapports, copies, etc.).
Comment votre retour au travail s’est passé? (dossiers, stress, horaire de travail)
Me Julie Léveillé (salariée) : La conciliation « retour au travail » et « entrée à la garderie » de mon enfant a été difficile : un enfant qui entre à la garderie est CONS-TA-MMENT malade et retiré du milieu de garde. Il faut donc avoir cette réalité en tête lorsqu’on retourne travailler. J’ai dû apprendre à être en paix avec le fait que je ne pouvais pas être, pour le moment, la professionnelle aussi disponible et performante qu’avant mon congé de maternité. J’ai dû moduler mes attentes envers moi-même par rapport au nombre de dossiers traités, le nombre d’heures travaillées en semaine, l’énergie disponible, et la disponibilité pour faire du travail « hors bureau » comme du réseautage. Je n’ai senti que de la compréhension et de la bienveillance de la part de mes employeuses face à ma nouvelle réalité et à mes nombreuses absences. Mon conjoint et moi avons convenu d’un horaire « de garde » pour déterminer qui restera à la maison avec notre enfant si celle-ci tombe malade. Cela me permet donc de pouvoir planifier mes journées de réception de signatures plus aisément et sans peur de devoir tout remettre. J’ai adapté ma façon de travailler pour être plus performante et compenser pour mes absences répétées : mes dossiers sont maintenant prêts plusieurs jours avant leur signature, je regroupe le plus possible mes signatures les journées où je ne suis pas « de garde », je mets à profit les signatures électroniques de sorte que je peux, un coup mal prise, recevoir les signatures à distance, depuis la maison. Il arrive toutefois que je doive déplacer des rendez-vous : jusqu’à maintenant, aucun client ne s’est indigné. Après tout, nous sommes tous l’enfant de quelqu’un et nous avons très certainement perturbé les plans de nos parents plus d’une fois!
Me Émilie Gélinas (à son compte) : Je n'ai pas vraiment eu de retour [au travail]. J'ai toujours été omniprésente. J'aime travailler et j'aime être avec mes enfants. Réduire mes activités sans m'arrêter complètement, c'était parfait pour moi.
Avez-vous fait face à des difficultés relatives à l’avancement de votre carrière ou à la conservation de votre clientèle?
Me Julie Léveillé (salariée) : Pas du tout !
Me Émilie Gélinas (à son compte) : Non. J'ai choisi de m'investir au travail malgré le fait d'avoir une famille. J'ai même plus souvent fait le choix de pénaliser ma vie familiale que mon bureau. Dans les dernières années, j'ai souvent travaillé entre 40 heures et 90 heures par semaine (en moyenne 60 heures).
Selon vous, aurait-il plus avantageux de bénéficier de votre congé de maternité en tant qu’employée d’une étude notariale?
Me Émilie Gélinas (à son compte) : Oui. Idéalement, j’aurais aimé être employée de mon étude si je m'étais incorporée. Avec du recul, je crois que j'aurais aimé m'incorporer avant.
Globalement, considérez-vous que le notariat est une profession permettant une bonne conciliation famille-travail?
Me Julie Léveillé (salariée) : Tout à fait. Il nous est possible de facilement jouer avec notre horaire, comme tout professionnel. La signature électronique a rendu le tout encore plus accessible que jamais.
Me Émilie Gélinas (à son compte) : Oui, je crois qu'on peut arriver à mettre nos limites. Certains notaires arrêtent complètement ou diminuent considérablement. Moi j'ai choisi de travailler beaucoup. Je ne crois pas avoir personnellement réussi à bien concilier famille-travail, mais je crois qu’il est possible de le faire. À mon avis, il serait idéal d’avoir des enfants une fois une certaine clientèle acquise, une clientèle qui est suffisante pour facturer des honoraires convenables, pour travailler moins et tout de même gagner un revenu décent. Il faut établir son agenda pour ne pas prendre trop de dossiers et informer nos clients de nos délais (refuser les dossiers qui débordent de notre horaire et qui ne peuvent être repoussés, car on peut vite se sentir submergé). Pour ma part, je commence tout juste à mieux concilier ma vie professionnelle et ma vie familiale après 10 ans de pratique. Je souhaite maintenant consacrer davantage de temps à ma famille. D’ailleurs, depuis quelques mois, je ne prends plus de rendez-vous les soirs (sauf exception) et je ne travaille jamais les fins de semaine. J'ai des délais de traitement de dossier plus longs et je facture davantage.
Le Blog du CDN remercie chaleureusement Me Léveillé et Me Gélinas pour l’ouverture et la confiance qu’elles ont accordée au Blog pour produire ce reportage.
Pour plus d’informations quant au Régime québécois d’assurance parentale, nous vous invitons à consulter le site officiel du gouvernement du Québec : https://www.rqap.gouv.qc.ca/fr
Notes de référence
[1] Pour être admissible au Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), il faut notamment avoir cessé ses activités d’entreprise ou avoir réduit d’au moins 40 % le temps consacré à ses activités d’entreprise (dans le cas du travailleur autonome) ou encore avoir cessé de travailler ou avoir connu une diminution d’au moins 40 % de son revenu d’emploi hebdomadaire habituel (dans le cas du salarié).
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